Au Texas, la révolution du gaz naturel liquéfié

Le cargo « Gail » fait le plein de gaz naturel liquéfié dans le canal de Sabine Pass (Louisiane), en mars 2018. Le cargo « Gail » fait le plein de gaz naturel liquéfié dans le canal de Sabine Pass (Louisiane), en mars 2018.

Dans les herbes folles, un héron fait mine d’ignorer le défilé des pétroliers géants. Ces derniers progressent, en ce mardi 8 mars à l’aube, à travers la Sabine Pass, un canal entre le Texas et la Louisiane sur le golfe du Mexique, pour rejoindre l’immense complexe pétrolier de Port Arthur. Ce bout du monde a des airs de fin du monde, avec ses raffineries et leurs fumerolles, ses routes défoncées, ses maisons de gardes-côtes surélevées pour résister tant bien que mal aux ouragans qui dévastent chaque année le golfe du Mexique. Mais c’est de là que viendra peut-être le salut des Européens, si dépendants de la Russie pour leurs hydrocarbures.

En face d’un mémorial, qui rappelle une bataille perdue par la marine d’Abraham Lincoln contre les confédérés pendant la guerre de Sécession, un terminal génère un bruit assourdissant : c’est celui de l’entreprise Cheniere Energy, où du gaz naturel liquéfié (GNL) est chargé dans deux méthaniers d’une belle couleur orange. Des cuves de gaz flambant neuves sont en bordure du canal, alimentées par un pipeline et une immense usine de compression. Un investissement supérieur à 25 milliards de dollars (22,5 milliards d’euros). Tout cela n’existait pas il y a quelques années. Ce terminal est l’une des infrastructures qui doivent permettre aux Européens de remplacer en partie le gaz russe.

L’un des hommes à l’origine de cette révolution, c’est un Américain d’origine libanaise, Charif Souki, 69 ans, qui nous reçoit à Houston, en marge de la CERAWeek by S&P Global, le forum pétrolier mondial. Jeune homme, il était parti étudier aux Etats-Unis et y est resté en raison de la guerre civile dans son pays. Il devient banquier d’affaires, s’installe provisoirement à Paris. Cet arabophone fait des affaires dans ces années 1970, en plein chocs pétroliers, quand le monde arabe est roi, au point de s’arrêter de travailler au milieu des années 1980.

Renverser la vapeur

Après une dizaine d’années à vivre la dolce vita à Aspen, dans les montagnes du Colorado, à court d’argent, il se lance dans le gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis. Sur une mauvaise intuition, mais qui lui mettra le pied à l’étrier. L’extraction de gaz se révélant coûteuse aux Etats-Unis, Charif Souki se dit que le pays aura bientôt besoin d’importer du GNL et se lance dans la création d’un terminal d’importation à Sabine Pass. Un investissement de 2 milliards d’euros, qui consiste à gazéifier du GNL importé.

En réalité, la révolution du gaz de schiste se profile, qui va rendre le gaz pléthorique et bon marché dans le pays. Et le jour où Charif Souki inaugure son terminal de gazéification, en avril 2008, le cours de son action s’effondre, victime des vendeurs à découvert. « Elle est passée de 22 dollars à 7 dollars ce jour-là », nous raconte dans un français parfait M. Souki. Il finit par se renflouer, juste avant la faillite de Lehman Brothers en septembre 2009. Il observe que, si le prix du pétrole est passé de 40 à 70 dollars, celui du gaz est tombé de 9 à 4 dollars. Il y a donc un intérêt à acheter ce gaz peu cher, le liquéfier et le vendre plus cher en Asie ou en Europe, mais il faut s’assurer qu’à ce prix bradé les exploitants américains continueront à forer. « Fin 2009, je suis allé voir mon conseil d’administration, on va renverser la vapeur et on va commencer à exporter du gaz au lieu d’en importer. »

Il vous reste 63.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Laisser un commentaire