

Ils ont défilé contre le durcissement de la loi sur l’avortement – entré en vigueur en janvier 2021 –, hurlé à la mise au pas de l’appareil judiciaire, alerté du danger climatique ou encore dénoncé l’acharnement des dirigeants contre la communauté LGBT. Ils sont militants ou simples citoyens progressistes, et, depuis sept ans, s’inquiètent et bataillent sans relâche contre les ultraconservateurs du parti Droit et justice (PiS), au pouvoir en Pologne depuis 2015. Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’ennemi honni, a soudainement inversé les priorités.
Dès le 24 février, la Pologne, qui comptait déjà plus d’un million d’Ukrainiens sur son sol avant la guerre, a ouvert grands ses bras à ses voisins tout proches. Un élan collectif et remarquable : plus de 2,3 millions d’Ukrainiens ont rejoint le pays en un mois, dont 300 000 ont opté pour Varsovie. Dans les grandes villes polonaises, on entend parler russe ou ukrainien à chaque coin de rue, le drapeau bleu et jaune pavoise les bus et les trams. « De tout cœur avec vous », disent les panneaux urbains de quatre mètres sur trois. Ici, des affiches en cyrillique proposent des tests de dépistage du Covid-19 ; là, les opérateurs de téléphonie mettent à disposition des puces et des kits gratuits aux nouveaux venus. A la campagne comme à la ville, les Polonais ont ouvert leur canapé-lit. Des gymnases, des théâtres et des salles de concerts ont été transformés en dortoirs, les écoles ont scolarisé plus de 80 000 enfants ukrainiens.
Le pouvoir a encouragé ces initiatives. Alors que, depuis l’été, les gardes à la frontière polono-biélorusse, appliquant à la lettre de nouvelles législations, refoulent implacablement les migrants venus du Moyen-Orient, le gouvernement national conservateur a donné en quelques semaines un cadre formel à toutes les manifestations d’hospitalité envers les réfugiés ukrainiens. Il vient d’autoriser le séjour et le travail de ces derniers pour une période de dix-huit mois et leur accorde les mêmes allocations qu’aux Polonais grâce à un numéro dit « Pesel », sésame indispensable pour toute démarche administrative dans le pays. « Nous n’appelons pas les Ukrainiens des “réfugiés”, mais “nos invités”, “nos frères”, “nos voisins d’Ukraine” », a expliqué le président, Andrzej Duda, le 25 mars. Ces mots choisis ont coupé l’herbe sous le pied de ses opposants.
L’entrée en guerre de la Russie, le 24 février, a instauré une trêve sur la scène politique intérieure. Dès le 2 mars, le président Duda a mis son veto à une réforme du système éducatif qui divisait profondément les Polonais. Le lendemain, il s’est affiché avec Rafal Trzaskowski, le maire progressiste de Varsovie, son grand rival de l’élection présidentielle de 2020, pour le consulter sur l’aide à apporter aux réfugiés venus d’Ukraine. La Diète aussi a connu une rare unité : le 11 mars, 450 députés ont voté la hausse du budget de la défense (5 autres se sont abstenus et les 5 derniers n’ont pas pris part au vote), et le Sénat lui a emboîté le pas quelques jours plus tard.
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