« Kiev a encore été bombardée ce matin. Mon cœur est descendu dans mon ventre d’un coup. J’ai appelé tout le monde. Ils vont bien »

Olga et Sasha sont deux sœurs ukrainiennes. La première a 34 ans et est caviste à Paris, où elle habite depuis sept ans. La seconde, âgée de 33 ans, vit à Kiev comme sa mère, et son compagnon, Viktor. Désormais, elle travaille dans la communication pour une société française de marketing. Les deux sœurs ont accepté, depuis le début du conflit, de tenir leur journal de bord pour M. Cette semaine, Olga part quelques jours à Nice tout en culpabilisant d’être loin des siens. Quant à Sasha, elle se remet à enseigner le français et s’apprête à déménager de nouveau, mais tout ne se passe pas comme prévu.

Mardi 31 mai

Olga : Rien de spécial aujourd’hui. Journée normale. Je suis allée conduire… toujours avec beaucoup de stress. J’aurai fait cinquante heures de conduite en tout. Je voudrais passer le permis avant que maman ne vienne en France pour qu’on puisse aller se balader dans le Sud. J’ai fait un grand ménage à la boutique, j’ai changé la vitrine pour la Fête des pères. Je poste tous les jours sur Facebook des photos de nos soldats qui meurent dans l’Est et le Sud. M. m’a écrit pour me demander comment elle pouvait aider. M., c’est la fille de J.-M., leur famille est un peu ma famille française d’adoption.

Je l’ai rencontrée à l’été 2013. J’habitais encore en Ukraine. J’étais traductrice pour des agriculteurs français venus voir les terres du centre de l’Ukraine et rencontrer des représentants d’un grand groupe de l’agroalimentaire. Cette multinationale louait énormément de terres en Ukraine, pour des cacahuètes. Ils se faisaient un fric fou. Je ne sais pas si c’est encore le cas. Il y a des champs à l’infini en Ukraine. Je revois le patron de la délégation : il est arrivé en décapotable au milieu des champs, bronzé, il portait une chemise qui brillait, il devait avoir à peine 25 ans.

J’ai gardé contact avec un viticulteur qui faisait partie du voyage et il m’a proposé de venir en France. Il a ses vignes près de Bergerac. J’ai adoré, c’est la meilleure région au monde ! Mon grand amour pour le vin a commencé là, chez J.-M. Avec sa famille, nous sommes restés proches. Ils m’écrivent souvent, ils s’inquiètent beaucoup. Si je peux, j’irai les voir bientôt avec ma mère. En 2014, après la révolution de Maïdan, on y était déjà allées toutes les deux. Un souvenir m’est revenu : à la fin du séjour, on a appris que la guerre au Donbass avait commencé. En repartant de là-bas, je pleurais.

Sasha : Aujourd’hui, c’est la fête ! J’ai fait une présentation pendant deux heures à un gros client et c’était super cool. Je suis rassurée. Et aussi, je viens de trouver un autre appartement en centre-ville, juste en face de ma salle de sport ! Je tombe de fatigue. Je suis débordée, je n’ai pas fait la vaisselle depuis trois jours. Je dois faire mes valises et mes cartons. J’ai laissé le chien chez Viktor pour une semaine. Il exige tellement de temps et d’attention. Il me manque énormément, mais c’est très pratique ainsi. La semaine prochaine, je quitterai la résidence où j’ai passé ces trois mois de guerre. Ça me réjouit et me stresse en même temps. Viktor m’aidera, j’ai loué un appartement tout à côté de son bureau. Notre relation est très agréable maintenant, on apprécie tous ces moments.

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