

Le petit calendrier affiché au mur, dans un recoin du dortoir, s’est arrêté à la date du 14 mai. Après cela, plus personne n’en a arraché les pages. Les soldats ukrainiens retranchés là ont-ils été trop absorbés par les combats pour poursuivre ce rituel d’assiégé ? Ont-ils évacué leur réduit pour un autre bâtiment, un autre souterrain de l’usine ? Trois jours plus tard, le 17 mai, les premières redditions ont été signalées : 265 hommes, dont 51 blessés. Le début de la fin de la résistance d’Azovstal, qui se soldera par la capitulation de plus de 2 000 combattants, selon le chiffre de Moscou. Entre-temps, le lieu est devenu l’un des symboles de l’attaque russe contre l’Ukraine. Un labyrinthe de destruction et de mort que l’armée russe a montré pour la première fois à un groupe d’une trentaine de journalistes, lundi 13 juin, dont celui du Monde, dans le cadre d’un voyage de presse à travers le Donbass et les territoires du Sud ukrainien capturés par Moscou.
La route qui mène au combinat métallurgique a des airs de plongée en enfer. Même à la mesure de Marioupol, ville presque entièrement détruite par plus de deux mois de siège et de bombardements, les quartiers bordant l’usine se distinguent : maisons éventrées, immeubles carbonisés et réduits à l’état de carcasse. La verdure envahissante qui fait l’été le charme des villes du Donbass s’est elle aussi inclinée. Les broussailles sont truffées d’éclats de métal, de douilles, de parpaings arrachés ; les arbres sont fauchés, tranchés, brûlés. De rares voitures s’aventurent sur la chaussée défoncée : des riverains qui viennent fouiller les décombres de leur maison.

Azovstal faisait la fierté de Marioupol. Quelque 1 100 hectares (un dixième de Paris) de béton et de métal posés sur la mer d’Azov, en plein dans le centre de la ville. Huit millions de tonnes d’acier et de fonte produites chaque année. Même en temps de paix, l’endroit est impressionnant, avec ses bâtiments hauts, ses enchevêtrements de tuyaux métalliques, de rails, de hauts fourneaux. Les bombes ont fait éclater le béton, tordu les poutres de métal, transformé le sol en un amas d’obus et de débris. Le vent porte des relents âcres de cadavres : tous n’ont pas été sortis des décombres. La vision est celle d’un paysage d’apocalypse. Seule protection contre le déluge de feu, les souterrains et tunnels interminables construits comme abris à l’époque soviétique, dont les plus profonds comptent jusqu’à sept niveaux.

Les explosifs seraient partout
C’est l’un de ces souterrains que les soldats russes ont décidé de montrer à la presse. Le choix est tout sauf anodin : le lieu en question était l’un de ceux utilisés par le régiment Azov, unité militaire qui occupe une place centrale dans la communication russe. D’autres unités de l’armée ukrainienne ont participé à la défense de l’usine, pendant le mois de siège. Certains souterrains étaient aussi utilisés par les centaines de civils retranchés avec les militaires, qui ont partagé une partie de leur calvaire – sur place, les soldats russes qui encadrent la visite préfèrent parler d’« otages ».
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